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Spectacle musical - mise en espace de Thierry Roisin - (voir répertoire Arrêts Fréquents) A l'origine de l'idée, une suggestion de Jean-Charles François, interpréter les trois pièces de l'Opus 11 de Webern, dans un programme d'oeuvres très brèves, la plus longue n'excédant pas 30', l'écoute des trois petites pièces, ainsi éclairées à contre-jour, s'en trouvant renouvelée. Pour l'Ensemble Aleph, solliciter des compositeurs sur cette idée était une façon de concrétiser, avec nombre d'entre eux, des désirs de collaboration inassouvis et accumulés au fil de dix années de carrière. La réponse enthousiaste de ces compositeurs : 70 d'un coup ! Une telle profusion, un tel jaillissement de création ne peut en aucun cas être assimilé à un hommage dans sa connotation nostalgique - fut-il à Webern mort il y a 50 ans, et à l'Opus 11 écrit il y a 80 ans. Il s'agit bien là d'un manifeste. 70 compositeurs dans un même programme, pour affirmer l'existence nécessaire d'une pluralité, non pas au nom d'un oecuménisme à la mode, mais comme moteur d'une réflexion de création, loin de l'esprit de chapelle. La question immédiate de l'ordre des pièces, avec l'évidente contradiction entre l'éclectisme des oeuvres et l'idée d'un ordre raisonné, voire didactique. D'où l'adoption d'un tirage au sort. Nouveau pari, nouveau défi !
Quand les musiciens de l'Ensemble Aleph m'ont proposé leur projet de concert rassemblant plus de soixante créations musicales de trois à trente secondes, j'ai eu peur. Peur du banal catalogue façon clip, bien sûr, mais surtout peur du temps, peur du temps concentré, de l'explosion nécessaire. Pari impossible que d'imprimer dans la durée, une suite d'éclairs qui déchirent le silence et résonnent au loin... Mais cette impossibilité était pour moi un bon point de départ. Un rapport au temps extrêmement contraignant est souvent un formidable moteur. Alors... moteur ! Les partitions ont commencé à arriver, manuscrites, sur imprimantes d'ordinateur, des fax du Gabon ou de Caracas, dans la boîte aux lettres de l'un ou l'autre des musiciens ou apportées en main propre. Certaines très ouvragées, d'autres recopiées à la hâte, accompagnées d'un mot, d'une phrase, de pages entières, ou rien du tout. Plusieurs compositeurs connaissent l'Ensemble depuis longtemps et en sont très proches, d'autres ont écrit sans connaître... sans doute la proposition correspondait pour eux à une nécessité du moment. Il y a quelque chose de très émouvant dans cette diversité de plis reçus, dans l'urgence de leur contenu. Et puis quand est venu pour moi le moment de la première répétition....j'ai eu peur à nouveau !... Je dois avouer que je ne suis pas un auditeur spécialisé de ce qu'on appelle communément la musique contemporaine et mon attrait pour elle - de par mon activité de metteur en scène - est principalement lié à son rapport avec le théâtre. Je connais bien les travaux de Georges Aperghis pour avoir travaillé plusieurs de ses oeuvres...mais tous ces noms de "compositeurs de musique contemporaine", c'était un peu effrayant ! Alors j'ai écouté et j'ai regardé. Surprise ! Rien à voir entre la légèreté élastique de la pièce de Devillers et les cellules vomissantes et jubilatoires de Globokar ou les accords cinglants de Denis Badault, entre l'opéra miniature de De Clercq et le solo pour violoncelle de Jafrennou. Coups de dés aux combinaisons infinies, escales urgentes d'un voyage au long cours, plongée en apnée dans les fonds d'une mer inconnue. La plus grande partie des pièces m'apparaît comme autant de questions posées auxquelles aucune réponse ne va de soi? cette sensation aussi que le compositeur a, de par la forme imposée, pris un risque qu'une pièce plus longue aurait atténué... Chacune des pièces était déchiffrée par les musiciens comme autant de petits cadeaux fragiles, qu'on s'empresse de déballer un soir d'anniversaire. C'était la découverte, avec ses moments d'excitation, d'inquiétude, de surprise, de danger, de joie. J'espère que ces sensations resteront présentes jusqu'au moment du concert, que tous ces moments simples de la vie des répétitions permettront de garder à chaque pièce sa fulgurance. Thierry Roisin |